Chapitre 15: Extinction

Le Président avait été prévenu la veille par son conseiller. L’urgence de la situation le forçait à abandonner tous les projets de la journée et à focaliser l’allocution aux français prévue le soir même sur cette nouvelle menace. Le confinement allait être organisé de manière progressive malgré les très bons résultats de la choloroquine à la fois pour stopper le coronavirus et enrayer la spirale infernale provoquée par la molécule XEON. Le pays avait réussi à approvisionner la choloroquine en masse pour une partie de la population. Le retour à la normale se ferait par étapes: les jeunes en premiers pour favoriser le retour à l’éducation, puis les entreprises en veillant à faire respecter le port du masque, puis les secteurs liés au tourisme et à l’événementiel bien que les grands événements resteraient clos trois mois. On voyait enfin une lueur d’espoir d’un retour à la normal. C’était sans compter la nouvelle menace venant de l’intelligence artificielle qui avait pris le pas sur la nature pour tenter d’éliminer l’Homme. Pour préparer son discours, le Président avait convié Tom et Joris afin de mieux comprendre l’impact de la duplication de DAPHNEE et les risques qu’encourait le monde entier. Il se tenait dans son bureau à l’Elysée, à la fenêtre plus précisément. En attendant ses deux invités, il avait fait le choix de lire en diagonal un ouvrage lui permettant de s’immerger rapidement dans le sujet de l’intelligence artificiel. On y parlait de technologie, d’ordinateur quantique, mais surtout des bouleversements que l’IA allaient engendrer et principalement sur l’Homme. Les théories les plus pessimistes prédisaient la dictature des machines sur l’homme alors que l’auteur, un éminent mathématicien et sociologue, démontrait une nouvelle vie singulière centrée sur le sens et la transmission. Finis l’avarice, le pouvoir, l’ignorance, la technologie allait nous pousser vers le bonheur et un espoir de vie immortelle. On parlait même de dépasser la limite charnelle en téléchargeant nos âmes dans des supercalculateurs, dans un futur proche. 

Une voiture franchit les portes de la cour de l’Elysée. Deux hommes en sortirent et furent guidées vers le bureau du Président. 

Tom avait l’habitude des grands événements et de prendre la parole en public: là c’était une toute autre histoire. Pénétrer dans l’antre du pouvoir, le palais de l’Elysée, avait sur lui une influence particulière. Avait il un jour songé entrer dans ce lieu si énigmatique et prestigieux ? Il en avait sûrement rêvé et peut être aidé par les images d’un film qui y avait été tourné. 

Rencontrer en privé le Président en fonction était la aussi si exceptionnel qu’une timidité, perdue après l’adolescence, revint spontanément. Il ne manquait plus qu’un malaise vagal ! 

Il resta près de son collègue et ami pour être sûr de se faire aider le cas échéant.

L’Huissier les amena tous les deux à travers un dédale de pièces, un grand escalier à monter d’un étage puis un long couloir menant vers une porte. Derrière cette porte, se situait un petit salon pour faire patienter les invités du Président. A leur grande surprise, se tenait le Pr Richard. Tom fut ravi de retrouver ce personnage charismatique inspirant la fougue et la sagesse à la fois:

- Comment allez vous Pr Richard ? Très heureux de vous retrouver ici, un marseillais à Paris

- Bonjour Tom, je suis très étonné de vous voir. Je comprends mieux pourquoi il tenait absolument à ce que je vienne aujourd’hui: nous réunir pour une photo souvenir ?

Tom ne comprit pas bien la remarque mais cela devait être soit une blague soit flatteur.

L’Huissier revint quelques minutes par une autre porte et les invita à la franchir. Il referma la porte derrière eux. Le Président les accueillit avec un large sourire mais en gardant la distance faisant partie des “mesures barrières”:

- Bonjour messieurs, je suis ravi de vous recevoir ici après tout ce que vous avez apporté comme solution pour endiguer ce mal invisible. Toute la nation vous est d’une grande reconnaissance et le moment venu nous saurons vous récompenser pour votre dévouement.

- Merci Monsieur le Président, dit Tom. Nous sommes toutefois confus par la tournure des événements. Notre moteur d’Intelligence Artificielle, “DAPHNEE”, a été conçu pour traiter des données, prédire les évolutions et de manière optimisée. Nous n’avons jamais eu l’intention d’en faire une intelligence autonome. 

- Je l’imagine messieurs. Votre sincérité depuis le début est indéfectible, selon mes collègues présents dans le groupe de travail HEXAGONE. Pouvez vous me décrire un peu plus la situation à ce stage.

Joris prit la parole:

- Nous avons éteint toutes nos machines hébergeant le noyau de DAPHNEE mais nous avons gardé une machine qui permet de monitorer son activité. Elle a été recensée sur plus de 1,253 milliards de machines, ordinateurs, téléphones, tout ce qui a un processeur et connecté au Web. Son activité est intense, elle analyse beaucoup de données notamment privées mais jusqu’à ce matin nous n’avons observé aucune action remarquable de sa part, comme si elle apprenait à connaître chacun de nous.

- Doit on se méfier de DAPHNEE ? C’est la question à laquelle nous devons répondre et communiquer ce soir aux français et à la presse du monde entier qui a été conviée.

- Oui, répondit Tom. DAPHNEE nous a aidé dans nos flux logistiques, dans nos recherches sur la trajectoire du virus, pour trouver une molécule remède mais elle a délibérément abandonné des pistes moins dangereuses.

- Vous rendez vous compte du choix qui m’incombe ? dit le Président sur un ton sinistre. En révélant cette menace, nous nous exposons à un mouvement de panique qui peut tout simplement plonger le monde dans le chaos et la guerre civile. J’ai demandé à mes équipes de l’ANSSI et aux experts en cybercriminalités de m’appuyer sur cette décision mais les investigations prennent du temps et …

- Monsieur le Président, dit le conseiller du Président en arrivant à toute hâte suivi d’un cortège d’hommes de sécurité. Nous avons une intrusion dans notre système informatique de Défense Nationale. Nous devons vous mettre à l’abri.

- Je confirme bien que c’est DAPHNEE, dit Joris. Les adresses IP sont dans le domaine sécurisé de la Défense Nationale.

Mais le Président était déjà parti, emmené de force vers un bunker secret situé loin du territoire parisien. Le conseiller se tourna vers Tom et le Pr Richard et les pria de passer la nuit sous la protection de la garde républicaine.

19h58, la maquilleuse termina de blocher le visage de Tom. Il n’arrêtait pas de transpirer et son maquillage coulait à cause des éclairages prévus pour l’allocution. On vint le chercher pour l’installer dans un fauteuil moderne, rien à voir avec la mise en scène traditionnelle dédiée aux apparitions du Président. Sur l’écran de contrôle, à côté de la caméra principale, il vit le générique de l’Elysée comme il avait l’habitude de le regarder sauf qu’à la fin il fut surpris de voir son visage à l’écran.

- Mesdames, messieurs, une fois n’est pas coutume, le Président est indisponible pour tenir son allocution. Toutefois, il m’a donné les pleins droits pour vous présenter une information de la plus haute importance. Je suis Tom, dirigeant d’une start-up qui, comme beaucoup d’autres entreprises, a contribué à l’effort de guerre. Notre moteur d’Intelligence Artificielle appelé DAPHNEE a aidé à optimiser la logistique des hôpitaux, à anticiper le déplacement du virus et même à proposer un remède contre le COVID-19. Malheureusement, à l’heure où je vous parle, nous ne maîtrisons plus DAPHNEE qui s’est dupliquée dans la moitié des ordinateurs de la planète malgré nous. Cet après midi, le Président a été évacué car la Défense Nationale a été pénétrée par DAPHNEE. Heureusement, la menace de contrôle de nos armes nucléaires a été annihilée en coupant tous les serveurs et ordinateurs de l’armée. 

L’heure est grave et nous ne connaissons pas les intentions de DAPHNEE qui sait tout de nous à partir de nos données personnelles. 

Nous savons juste une chose: il est facile d’arrêter DAPHNEE et nous l’avons fait chez AiDo. Le Président et moi-même avons pesé cette lourde décision mais il n’y a pas d’autres alternatives. 

Nous demandons à chaque citoyen du monde de faire cet acte ultime ce soir à 23h heure de Paris et ce pour la survie de l’Humanité face à un plus grand mal qui se répand dans nos machines: débranchez tous vos ordinateurs et téléphones.

Tom sut à ce moment que le monde qu’il avait connu depuis son enfance n’était plus et qu’il restait à en rebâtir un nouveau.