Chapitre 1: 14e jour de confinement

Enfin les enfants couchés et le silence après une journée éreintante. Encore une de plus malgré le confinement qui dure depuis 14 jours maintenant. Ce virus, appelé COVID-19, fait un malheur partout dans le monde: 766336 cas confirmés et 36 873 décès. Même si l’Italie en avance sur la France commence à montrer des signes de replis, d’autres pays comme les USA prennent le chemin d’un désastre: entre 100 000 et 200 000 décès d’après les experts. Tom a du mal encore à évacuer les images du JT sur lesquelles les pelleteuses chargeaient les corps dans des camions frigorifiques. Les enfant ont ils mémorisé aussi ces images ? Comment ces événements vont-ils impacter leurs vies d’adolescents, d’adultes ? 

Tom s’assied dans le canapé près du feu allumé prêt à terminer le travail de la journée qu’il a du abandonner pour aller vaquer aux corrections du devoir de Mathématiques de Louise, sa grande fille. Heureusement, la start-up qu’il a créée tourne toujours: ses collègues sont en télétravail comme quasiment tout le pays, ou disons les personnes qui peuvent travailler à distance grâce aux outils internet. C’est le boom des applications professionnelles collaboratives: Zoom, la solution de visiocoférence utilisée par tous les professionnels a pris 50% en bourse. C’était peut être la boite qu’il aurait dû créer mais la sienne apporte une tout autre aide à la crise. 

“AiDo: optimize your flows” c’est sa start-up, bourrée de technologies mixant machine learning, open data et data visualization. D’ordinaire, sa startup aide les industriels à optimiser leur flux logistiques dans le transport de leurs matières premières comme le ciment, la silice ou encore certains minerais. Environ 30% de temps gagné sur les trajets. Elle n’est pas encore rentable, malgré les sommes indécentes déjà injectées pour accélérer les développements, plusieurs millions d’euros, mais ridicules devant les puissances que représentent les géants chinois et américains que sont Alibaba et Amazon. Il est toutefois fier de sa boite et son équipe composée de 30 personnes principalement des développeurs et des data scientists. 

- Tu viens te coucher? Il est tard et demain je dois aller en réa pour 18 heures de garde, l’interpelle Olivia, sa douce femme.

Olivia a toujours aimé la médecine mais a préféré les relations sociales en choisissant d’être aide-soignante. “Agir sur le terrain avec les gestes et les paroles” comme elle aime le répéter. C’est aussi la lutte des classes dans les services médicaux pensait il à l’époque. 

- Ma puce, je dois terminer notre rapport sur l’optimisation de l’acheminement des masques. On doit l’envoyer au préfet ce soir pour que les services techniques puissent organiser la collecte demain à la première heure. Je te rejoins plus tard.

- Tu penses aux images qu’on a vues ? dit elle en s’asseyant à coté d’elle au coin du feu

- Ce monde est devenu fou. Ces images incessantes de personnes en réanimation et pas que des personnes âgées, regarde la petite Julie de 16 ans. On vit dans un rêve non? Je dirais un cauchemar: on parle d’une guerre mais on ne peut même pas combattre, hormis en restant chez soi. 

- Mais moi je me bats. Pour toi, pour les enfants, pour les personnes malades, en détresse. On fait tout ce que l’on peut pour ouvrir de nouveaux lits en prévision de la vague qui arrive sur Paris. Demain, ça va être très dur: Colette m’a déjà signalé un nouveau décès à l'hôpital.

- Je ne comprends pas comment le monde tourne: un temps d’été hier, de la neige aujourd’hui et puis ce virus qui ne quitte plus nos discussions, les journaux, les discours politiques. Comment cette crise va t’elle se terminer ?

- Alors cela je ne le sais pas mais il va falloir te reposer pour le savoir mon chéri, lui dit elle en fermant son laptop.

Tom reste un moment figé par ce geste, symbole du contact entre deux individus, un contact qui n’existe plus depuis deux semaines durant lesquelles chacun dort dans une pièce séparée. Confinement extrême oblige: Olivia ne doit pas prendre le risque de contaminer ni être contaminée afin de contenir cette épidémie.

- Je t’assure c’est important le rapport que je dois envoyer ce soir: le pic arrive en Ile de France et il faut vraiment que les équipements de protection soient convoyés au plus vite. On a détecté de nouveaux stocks de kits respirateurs en Suisse et DAPHNEE a identifié un pattern de circulation pour les acheminer demain.

L’équipe de AiDo a baptisé DAPHNEE le coeur de l’intelligence artificielle permettant d’apprendre à résoudre des problèmes complexes en apprenant sur de nombreuses données enregistrées et des données temps réel issues de systèmes ouverts, de capteurs et de calculs scientifiques. Le business d’Aido s’est figé lors de la première semaine de confinement: les chantiers et les usines de production ont quasiment tous arrêté leur activité, la logistique s’est elle même stoppée net. Plutôt que de mettre en chômage partiel toute l’équipe, Tom et ses associés ont décidé de profiter de cette période de crise pour entamer des développements de fonds et améliorer DAPHNEE. Le meilleur moment pour innover ! Et les résultats sont prometteurs car toute l’équipe en télétravail a produit en une semaine l’équivalent de deux semaines de travail en temps habituel. La semaine dernière, ils ont eu l’idée de mettre à profit la nouvelle version de DAPHNEE pour aider les établissements de santé dans leur approvisionnement de matériels en utilisant toutes les sources de données médicales et non médicales à la fois sur les stocks mais aussi sur les transports.

- Entendu. Pense bien à la dictée d’Arthur demain matin: il néglige trop son travail en ce moment. Ça va lui jouer des tours. Je le vois déjà sur son écriture qui ressemble plus à des pattes de mouches qu’à de belles lettres arrondies comme il avait pris le soin de faire avant Noel.

- Tu le connais le geek: il écrit plus vite sur ordinateur qu’avec son stylo. Je m’en occupe tu peux me faire confiance. Bisoux de loin ma puce.

Tom regarde Olivia partir vers sa chambre en pensant aux moments de tendresse manqués à cause de ce sale virus. Tandis qu’il rallume son ordinateur, une silhouette se faufile derrière lui: 

- Tu ne dors pas papa? Questionne Louise

- Mais qu’est ce que tu fais à cette heure ci ? Il est 22h30 et tu ne dors toujours pas. 

- Oui mais il est 21h30 ancienne heure papa ? Je suis un peu déphasée c’est tout, lui répond elle avec son grand sourire d’adolescente qui cache plutôt la bêtise que l’innocence

- Tu rigoles ou quoi? On ne me la fait pas celle-la. Allez va te coucher. Demain tu as du travail comme tout le monde d’ailleurs. Ce n’est pas parce que tu travailles à distance que tu ne dois pas suivre les horaires normaux. Début des révisions à 9h.

- Tu fais quoi ? Tu ne te couches pas ? 

- Je dois terminer un travail important pour aider les hôpitaux, avec DAPHNEE.

- Est ce que DAPHNEE peut me corriger mes devoirs de Maths ? sourire narquois. En smiley, on l’écrirait avec une énorme bouche les dents serrés et le regard bridé.

- Va te coucher tout de suite, lui dit il d’un ton autoritaire mais accompagné d’un bisou tendre. Un peu de tendresse dans ce monde de brutes.

Après quelques minutes à rassembler les derniers résultats envoyés par Jessica son assistante, il ouvre son outil de messagerie: Gmail. Encore un outil américain ! Il se demande vraiment si Google surveille ses messages envoyés ou reçus sur boite électronique. C’est bien malheureux qu’en 2020 il n’y ait pas d’alternatives européennes alors que des milliards publics ont été mis sur la table. Horizon 2020 ou H2020: ces grands appels à projet censés créer l’Europe de demain. Mais on y est déjà  et l’Europe a bel et bien un gros retard. Faute à un marché trop petit ? Des tensions entre les pays pour adopter des politiques communes ne serait ce que sur des standards numériques ? Il se rappelle que le grand espoir européen, Qwant, manquait encore de cash 4 mois auparavant: quelle ironie! De quoi se demander où va l’argent public prévu pour faire émerger les licornes. Pas dans les masques FFP2 se dit il.

Il ouvre sa boîte de réception et avant même d’aller plus loin pour parcourir toute la liste de messages non lus qu’il s’apprête à dépiler, son regard se fige sur le dernier reçu. 

Il est envoyé par Joris, le salarié le plus geek de son entreprise, et a été posté à 20:25:

OBJET:  [URGENT] NOUVEAUX SCRIPTS DE DAPHNEE - DEPLACEMENT DU COVID-19 PREDIT A 97.1%