Chapitre 10: Placebo

8h, Luc Bardou venait tout juste d’arriver à la DGSI, la direction générale de la sécurité intérieure, qui gérait principalement toutes les menaces présentes sur le sol français. Il avait appelé ses anciens collègues qui collaboraient déjà sur l’enquête du groupe qui avait sévi à Mulhouse puis Marseille. Cette fois ci, il s’agissait d’identifier le visage d’une personne susceptible être une menace pour la nation. Il avait mis les grands moyens pour identifier le visage sur la photo que Tom lui avait confiée mais son instinct ne le trompait jamais: ce visage pris en photo en Tunisie et proche de l’environnement de Tom ne lui disait rien qui vaille. Son premier réflexe avait été de soumettre la photo scanné au fichier TAJ (traitement des antécédents judiciaires) présentant plus de 8 millions de photos identifiant des personnes ayant eu des déboires avec la justice mais la recherche n’avait rien donné. Mr X était blanc comme neige et n’avait pas eu d’antécédent judiciaire. Il eut donc l’idée de croiser un peu plus loin et contacta ses anciens collègues de la DGSI pour consulter le fichier S répertoriant les individus identifiés comme pouvant perturber l’ordre public. Il arriva devant Carole avec qui il avait partagé le même bureau:

- Bonjour Carole, tout va bien ? Tes recherchent sur le groupe BONZAI avancent ? 

Le nom de code du groupe qui avait agit à Mulhouse dans le marché couvert était BONZAI.

- Hello boy. Ca se passe pas trop mal: nous avons déjà identifié une cellule venant de Belgique et qui a passé la frontière la veille du marché. Nous tenons le bon bout mais les traces à suivre représentent un boulot monstre et nous avons surement peu de temps avant la prochaine action.

- Voici la photo de l’individu que je cherche à identifier. Tu peux m’aider à accéder au fichier S ?

- Oui attends que je me logue sur le fichier. Tu veux un café en attendant que mon ordinateur démarre ?

- Volontiers.

Carole quitta la pièce exigue et laissa Luc seul derrière le bureau. Il prit le journal qui trainait:

“COVID-19: EXIT. LA MOLECULE SAUVEUSE GUERIT EN QUELQUES HEURES.”

Il avait effectivement appris sur les réseaux sociaux et notamment sur le compte du Pr Richard qu’une nouvelle molécule avait fait l’objet de test pré-clinique et avait permis de sauver plusieurs personnes proches du décès. Le journal indiquait très clairement que le gouvernement avait autorisé la prescription du médicament DUVOX à toutes les personnes infectées et en prévention les personnels de santé, des EHPAD et les forces de l’ordre. Le journaliste indiquait que les stocks européens étaient heureusement au plus haut sur ce médicament qui traitait une forme d’hépatite et les pays de l’union disposait de plus de 120 millions de boîtes.

Carole revint avec un café serré pour Luc.

- Voici. Je viens de te loguer sur le fichier FPR, tu pourras aller sur la catégorie S. Officiellement c’est moi qui cherche mais tu penses bien que je suis déjà à la bourre sur notre groupe donc je te laisse errer devant mon écran.

- Merci Carole.

Luc balaya chaque fiche manuellement: l’exercice était difficile car l’individu avait été pris en photo quinze auparavant et avec un angle de vue pouvant prêter à confusion. Après 20 minutes de tentatives, il n’avait même pas balayé 5% du fichier, il décida de changer de méthode: l’individu devait faire un job étudiant en 2005 ce qui devait signifier qu’il devait être né entre 1982 et 1987. Il affina sa recherche ce qui permit d’écarter environ 60% des fiches: encore trop. Il élimina aussi les profils d’origine d’Europe du nord et de France: il restait encore 1500 fiches: il n’aurait jamais assez de la journée pour consulter toutes les fiches. Il leva les yeux de l’écran et aperçut un rétroprojecteur comme on utilisait dans les années 90 pour faire des présentations grandeur nature. Il plaça la photo qu’il avait imprimée dans l’espoir de trouver un détail qui lui aurait échappé et projeta la photo sur le mur blanc prévu à cet effet. Rien. Pas de détail remarquable à priori. Carole entra et surprit Luc devant le mur songeur:

- Dis donc il a de beaux yeux celui la !

- Oui et il en a deux comme tout le monde, répondit Luc agacé

- Oui mais ils ont deux couleurs différentes: un marron et un bleu foncé. Pas mal.

- Ah! Carole il va falloir que tu m’aides: je suis albinos et je dois trouver mon suspect parmi 1500 fiches

Carole mit environ 8 minutes pour trouver le visage, de 15 ans plus âgé. C’était bien lui:

Kamal T., né au Liban en 1983 et entraîné dans les camps armés du Hezbollah puis avait vécu en Iran pendant 2 ans avant d’entrer en France pour faire des études de médecine. Son dossier était plein de détails mais depuis peu il n’était plus surveillé, le niveau de sa surveillance ayant été abaissé. Luc était satisfait d’avoir flairé une nouvelle piste pour remonter à la menace avec deux dénominateurs communs: Tom et l’Iran.

10h, le Pr Richard était déjà harcelé par la presse sur cette nouvelle révélation de la molécule XEON. Il avait mené la veille quelques essais sur des patients en insuffisance respiratoire très aiguë et les résultats dépassaient toutes ses espérances. Il attendait justement les premiers résultats de l’étude clinique auxquels il n’avait pas encore eu accès pour des raisons de protocole et de confidentialité. Si les résultats du groupe C se confirmaient, il n’y aurait plus de doute scientifique sur l’application de la molécule pour prévenir et guérir le coronavirus. 

Sa secrétaire entra dans le bureau et lui amena un courrier déjà ouvert qu’elle lui tendit:

- Vous devriez lire cela Professeur dit-elle

Le courrier au logo du laboratoire privé SAMRICK avait pour objet: MISE EN DEMEURE.

Le Pr Richard lu le courrier et découvrit que le laboratoire mettait en demeure le CHU de “suspendre l’étude clinique sur les molécules testées pour inhiber le COVID-19 au motif suivant:

Violation de l’ARTICLE 14: EXCLUSIVITE. En effet, l’ajout d’un nouveau composé en test à cette étude par vos services tel que vous l’avez communiqué par voie publique constitue une violation de l’exclusivité cédée dans le contrat hormis le test sur la chloroquine déjà entamé.”

Le professeur n’en revenait pas: il avait introduit le loup dans la bergerie et ne pouvait même pas l’en sortir. Il pivota son fauteuil à roulette pour plonger sa vue vers la fenêtre de l’extérieur où le soleil commençait réchauffer les rues de Marseille. Il repivota vers son bureau quand un de ces collègues arriva avec un dossier papier qu’il mit sur son bureau en lui disant:

- La molécule du laboratoire SAMRICK: aussi efficace qu’un placebo !

15h, les enfants s’étaient déguisés: Louise en reine des neiges (même si son costume était vraiment trop petit), Arthur en Spiderman, avec un vrai masque, pas un masque de santé cette fois-ci, sa fièvre ayant complètement disparu. Ils attendaient patiemment derrière la porte, l’instant fatidique quand soudain celui-ci arriva: Olivia apparut dans l’entrée tel un ange auréolé par un soleil généreux en ce mercredi. Les enfants se jetèrent dans les bras de leur mère qui sentit les larmes monter. Tom observait la scène avec beaucoup d’émotion lui aussi. Comment aurait il pu survivre sans elle ? Il s’approcha du groupe agenouillé dans l’entrée et ouvrit grands ses bras protecteur pour ressentir l’amour de cette petite famille qu’ils avaient construite.

Une fois les retrouvailles faites dans le salon, les enfants purent montrer à Olivia tout ce qu’elle avait loupé: les dessins qu’ils avaient faits, les histoires qu’ils avaient lues, les dessins animés qu’ils avaient regardés, les jeux avec papa, les acrobaties avec les enfants des voisins. Un vrai  moment de bonheur partagé.

Tom lui raconta comment ils avait découvert la molécule XEON grâce à DAPHNEE, son séjour à Marseille avec l’incident lié probablement à un groupe terroriste qui avait propagé la pandémie en Europe et bien sûr l’acte inespéré de lui inoculer la molécule. En lui racontant cela, les éléments prenaient forme. Le groupe iranien tenait véritablement à propager largement ce virus et n’avait pas hésité à tenter de tuer les personnes capables d’endiguer cette menace à savoir lui et le Pr Richard. Tout prenait sens mais dans sa tête, la menace grandissait. Ce groupe allait il encore attenter à sa vie ou à celle du Pr Richard maintenant que le remède était connu de tous ?

Sa réflexion fut interrompu par la sonnerie de son iPhone: Luc Bardou s’afficha sur l’écran. Une menace de plus? Il se souvint la dernière fois qu’il avait répondu, Luc arrivait en retard pour le prévenir d’une action à son encontre. Il décrocha:

- Bonsoir Luc.

- Bonsoir Tom, vous allez bien ?

- On ne peut mieux: ma famille est recomposée, saine et sauve.

- Et bien j’ai trouvé votre tunisien. Et je ne sais pas par quel miracle il vous est passé par la tête de m’en parler mais il est clairement lié à BONZAI le groupe iranien qui a préparé les attaques en Europe occidentale. Il s’agit de Kamal T. né en 2005. Vous le remettez dans le contexte ?

- Ah… Je crois que… attendez… j’ai un doute… 

Tom vérifia ses e-mails, cela lui prit quelques minutes mais maintenant il savait où il avait vu ce visage:

à l’entretien de stage.

Kamal travaillait sur DAPHNEE.